Défilés de Milan : une saison entre deux eaux
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Nouveau souffle chez Alberta Ferretti, défilé anniversaire chez K-Way, la grâce et les rumeurs chez Jil Sander et le spectacle chez Dsquared2.
Quand en septembre 2024, Alberta Ferretti a annoncé prendre sa retraite, elle a tout naturellement choisi son successeur dans ses rangs. Lorenzo Serafini a rejoint le groupe Aeffe en 2014 comme directeur artistique de Philosophy, la deuxième ligne de la créatrice fondée en 1984. Il maîtrise donc ce vestiaire romantique à l’italienne, sans chichis, et tout en tonalités terracotta dont elle a le secret. Mardi soir, au siège du groupe, sous les moulures peintes de mille fleurs, le quinquagénaire originaire comme elle des alentours de Rimini, au nord-ouest du pays, ne veut rien bouleverser. Tout en étant déterminé à imprimer sa patte. « Je voulais traduire cette douceur qu’Alberta a incarnée pendant des années, ce romantisme dans une silhouette contemporaine, explique-t-il en coulisses, devant son tableau d’inspiration où les photographies de l’Italien Paolo Roversi rencontrent les portraits de sœurs Carla et Franca Sozzani, figures emblématiques de la mode transalpine. J’ai donc déconstruit les vestes pour les rendre fluides et faciles à porter, j’ai aussi opté pour des matières délicates et confortables comme le crêpe georgette et le cachemire double face, un vestiaire du soir à porter le jour. » Le premier look (notre photo) marque cette nouvelle ère : un manteau d’homme souple noir passé négligemment sur une fragile nuisette en soie. Aux bras, cette demoiselle aux cheveux dans le vent serre un petit cabas en cuir rigide moka. Aux pieds, elle a des mules plates. S’enchaînent des costumes taillés en transparence à revers de dentelles et volants. Des bottines en cuir souple viennent décaler l’allure gracile. Serafini joue à merveille la partition Ferretti. Du premier jusqu’au dernier look, une robe de mariée « ou simplement pour une occasion spéciale », précise-t-il, façonnée dans quinze mètres de mousseline chiffon crème, plissée à la main et bordée d’une cascade de volants.
Autre ambiance chez K-Way, qui, anniversaire oblige, défile pendant le calendrier officiel italien. Car oui, le célèbre coupe-vent en Nylon qui fête ses 60 ans est bien né à la terrasse du Café de la Paix à Paris (nos éditions du 22 février 2025 ). mais son propriétaire, depuis 2004, n’est autre que le groupe BasicNet, fondé à Turin. Celui-ci possède également Kappa, ex-équipementier historique de l’équipe de foot locale, la Juventus. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’on croise, parmi les invités, le joueur mythique Andrea Pirlo en train d’arpenter l’exposition consacrée à K-Way, ouverte au public jusqu’au 2 mars au Museo della Permanente. Au fil des trois salles, le visiteur découvre les archives de ce vêtement dont le nom est devenu un « frigo » de la langue italienne (et française bien entendu), au même titre que le talc pour bébé Borotalco et la pâte à modeler Pongo. Mais il est temps de prendre place autour d’un podium reprenant les couleurs du fameux zip. « Le vrai logo de K-Way, c’est son zip multicolore, nous disait récemment le PDG, Lorenzo Boglione. Le nom n’a même pas besoin d’apparaître sur le produit pour que les gens le reconnaissent. » Un zip qui est en bonne place dans cette collection anniversaire sur des vêtements d’extérieur, des pantalons cargo, des robes scuba et des anoraks à multiples poches. Une série de sacs est aussi éditée en collaboration avec la Française Laurence Cahu. Mais la vedette reste l’invention originale de Léon-Claude Duhamel, exposée un peu plus loin, et qui habille petits et grands depuis 1955.
On en prend plein les yeux chez Dsquared2 ! Ici aussi on fête un anniversaire, les 30 ans de la marque des jumeaux canadiens d’origine italienne, Dean et Dan Caten (de leur vrai nom Catenacci). Dans un décor imitant un immeuble industriel en briques rouges (sur « Fashion Avenue », indique un panneau), se tient un incroyable défilé de vieilles voitures américaines qui déposent chacun un mannequin aux abords du podium. Sortant d’un blindé surgi de la saga Rambo, la rappeuse Doechii, tout juste auréolée de son Grammy du meilleur album rap, ouvre le bal, corsetée dans un anorak kaki et moulée dans un microshort en denim. Elle court en talons de 12, laisse échapper une poignée de billets (à l’effigie des jumeaux) de son sac de trappeur. Puis des Village People lui emboîtent le pas : l’ouvrier, le policier, le cow-boy, le motard… Viennent ensuite des métalleux maquillés et perruqués à la Kiss tirés à quatre épingles dans leurs beaux complets gris. La top-model du moment, Amelia Gray, paraît en Cher et Naomi Campbell en… Naomi Campbell. C’est foutraque, sexy en diable - les fourreaux fendus jusqu’aux aisselles n’ont par miracle rien montré - et surtout jubilatoire. Un happening pop qui fait tellement de bien !
En revanche, l’ambiance n’est pas à la fête chez Jil Sander. Les rumeurs de départ de Lucie et Luke Meier, à la direction artistique de la griffe depuis huit ans, courent jusqu’au premier rang, ce mercredi matin. D’autant qu’il y a du changement dans la griffe qui appartient à OTB (le groupe de Renzo Rosso), avec la nomination au début du mois d’un nouveau PDG, Serge Brunschwig (ex-Fendi). Dans une scénographie tendue de noir, une fille aux allures rockabilly s’avance lentement, en robe bustier à longues franges plastifiées comme un pompon géant de cheerleader, et derbies cloutés. Un vestiaire noir sur noir jamais lugubre grâce aux touches de brillance, ici des paillettes argentées, là une touche de plastique rouge-noir. Soudain, une fille vient troubler ce monochrome très Soulages en body de grosse laine torsadée crème. Mais le noir reprend ses droits au fil d’une série de robes de cocktail monacales en satin rigide imprimé de fleurettes. Étrange ambiance, surtout lorsque les notes mélancoliques de Starfall (« étoile déchue ») du groupe Salem accompagnent le finale. Quelques heures plus tard, à 19 heures, le groupe confirmait le départ du couple.
lefigaro