Roman « Le Devoir de l'Effort » | Le Trou dans la Semelle
Carsten Linnemann, secrétaire général de la CDU, veut « couper dans le vif », et le chancelier Friedrich Merz rêve de priver les pauvres de tout leur argent ; ils ne peuvent tout simplement plus se permettre « cet État-providence ». Ces dernières attaques du gouvernement fédéral contre les pauvres et les marginalisés suivent le vieil adage : si vous avez des problèmes, on vous en créera.
Sur le plan rhétorique, les experts de l'appauvrissement tentent d'éviter de laisser émerger trop d'humanité : ils parlent de systèmes, de processus et de structures. Cette abstraction technocratique vise à empêcher toute empathie. C'est le comportement d'une organisation qui se prétend attachée à une vision chrétienne de l'humanité.
Manfred Gruber fait partie de ces personnes humiliées. Quelque part en Autriche, il est à la caisse d'un supermarché et veut s'offrir – pour une fois – un jus d'orange fraîchement pressé. C'est le 2 du mois, donc son budget lui permet encore de telles extravagances. Du moins, c'est ce qu'il pensait, mais à la caisse, il s'avère qu'il n'y a plus d'argent sur son compte. Le bureau n'a pas viré l'argent. Même vouloir boire un jus d'orange, c'est trop demander.
Gruber est un bénéficiaire de l'aide sociale consciencieux et expérimenté. Il sait qu'il a soumis tous les documents nécessaires et rédigé suffisamment de lettres de candidature inutiles. Il n'a rien fait de mal. Il s'agit sans doute d'un oubli. Mais ce n'en est pas un : l'agence sociale a décidé qu'il pouvait travailler. C'est pourquoi ses allocations ont été supprimées sans préavis.
Ce n'est certes pas un héros ; il a eu une enfance plutôt mouvementée. Il a suivi une formation de boucher dans une grande usine, a eu un enfant, a trop bu et a menacé sa mère, lui lançant même une bouteille de bière pleine. Leur relation s'est effondrée. Il a fini par abandonner son travail – son dos ! – et s'est occupé de sa mère fragile à la maison.
Depuis sa mort, il a la maison, ce qui représente déjà bien assez de travail. Le jardin a besoin d'être labouré et l'enfant d'un voisin a besoin d'un clapier. Gruber a pratiquement renoncé à l'alcool et à presque tout contact humain. Ses relations avec son fils sont tendues, les conversations avec les voisins sont irritantes et il n'est généralement pas très doué pour parler aux autres. Il aspire simplement au calme et à la tranquillité.
Mais ce n'est pas ce qui est prévu, car il y a ce « devoir d'effort », comme on dit en Autriche. S'il ne cherche pas de travail, l'administration lui confisquera sa maison, celle qu'il souhaite léguer à son fils en guise de dernier geste d'affection. La maison dont la préservation est devenue l'œuvre de sa vie. Mais bien sûr, l'administration ne le comprend pas. Il est déjà perçu comme gênant et anticonformiste parce qu'il se plaint constamment. Par exemple, lorsqu'on lui confie un autre travail totalement inutile, qu'il est clair qu'il ne pourra de toute façon pas exercer. Mais Gruber n'est pas réticent : il se soumet, s'y rend, effectue plusieurs quarts de travail non rémunéré, pour finalement s'entendre dire ce qu'il savait déjà.
Et puis il y a eu son problème de pied. Tout a commencé lorsqu'il a couru dans les rues détrempées pour se rendre au bureau afin de régler son retard de paiement. Et comme il avait un trou dans la semelle, toute sa peau était trempée. De plus, il avait un ongle incarné. Il l'a ignoré, a appliqué un peu de pommade dessus, mais il n'a pas voulu aller chez le médecin. Et puis, la situation n'a fait qu'empirer, en partie à cause de la mesure de sécurité sociale que le bureau lui avait imposée contre son gré.
C'est l'une des réactions courantes des personnes rabaissées par les autorités. Elles ne croient pas pouvoir obtenir d'aide. Elles sont censées continuer à être harcelées ; c'est leur quotidien. Il est donc difficile d'aller chez le médecin, surtout si l'on a été élevé dans l'idéal d'être un « vrai homme ».
L'auteure Sandra Weihs décrit tout cela sur un ton sec et mordant qui ne met jamais les personnages en valeur. C'est un ton d'objectivité humaine. La plupart du temps, la narratrice – une assistante sociale qui tente tant bien que mal de sauver la maison de Gruber – s'adresse à sa cliente en pensée. C'est comme une longue lettre, parfois teintée d'excuses : elle sait déjà qu'elle aussi fait partie du système qui mutile et mutile Manfred Gruber ; du moins, elle essaie de ne pas s'en laisser complètement abattre.
Weihs, elle-même assistante sociale, parvient très bien à saisir non seulement l'impuissance des personnes concernées, mais aussi la profonde désensibilisation des personnes prises en charge par le système. Même les plus stables politiquement ne se retrouvent finalement qu'avec de pieuses aspirations. La machine qui écrase Manfred Gruber a été construite par d'autres, par exemple par des gens comme Merz et Linnemann. Il y a quelque chose de désespérant à voir tous les Gruber lutter contre cette machine, puis être progressivement écrasés.
Après toutes ses difficultés, Manfred Gruber se sciera le pied ; cela lui semble être son dernier recours pour échapper à toute cette folie. À la fin, un expert en assurances dira à la télévision qu'il soupçonne Manfred Gruber d'avoir tenté d'escroquer sa retraite – et c'est probablement une arnaque. C'est ainsi : on se déchire, et ce n'est toujours pas suffisant. C'est ce que Linnemann et Merz ont prévu pour les pauvres, pour les Manfred Gruber de ce monde : une cruauté bienveillante.
Sandra Weihs : Devoir d'effort. Frankfurter Verlagsanstalt, 256 pp., couverture rigide, 24 €.
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