Cinéma | Film « Stiller » : Enfin, devenez vous-même !
Les romans de Max Frisch se caractérisent par des structures narratives complexes, de longs monologues intérieurs et des descriptions détaillées des états émotionnels. C'est ce qui a fait de Frisch l'un des écrivains les plus importants du XXe siècle. Mais ses romans peuvent-ils être adaptés au cinéma ? Cela semble difficile, ce qui explique le faible nombre d'adaptations cinématographiques de ses œuvres. La plus connue est sans doute « Homo Faber » de Volker Schlöndorff (1991), pourtant considérée comme un échec. Une critique de l'époque affirmait : « Malgré une distribution prestigieuse, Volker Schlöndorff ne parvient pas à insuffler la vie à ce roman au programme scolaire. »
Un certain scepticisme à l'égard de l'adaptation cinématographique du roman « Stiller » de Frisch est donc compréhensible, d'autant plus que le livre lui-même exige une endurance considérable. Au regard des habitudes de lecture actuelles, les écrits de Stiller peuvent assurément paraître parfois verbeux, désorganisés et décousus. En tant que support de lecture scolaire, le livre serait inconcevable à l'ère des vidéos courtes et de la capacité d'attention encore plus réduite des jeunes.
Mais comment prouver que vous n'êtes pas quelqu'un ?!
« Je ne suis pas Stiller ! » est la première phrase du livre ; dans le film, elle est prononcée plus tard, après l'arrestation de James White à son entrée en Suisse. La police le prend pour le sculpteur Anatol Ludwig Stiller, disparu sans laisser de traces sept ans auparavant et recherché pour un crime à motivation politique. Ses anciens amis, et même sa femme Julika (Paula Beer), venue de Paris, sont persuadés d'avoir enfin trouvé l'homme disparu. Mais il refuse d'être identifié : « Je ne suis pas Stiller ! » Mais comment prouver qu'on n'est pas quelqu'un ?
Stiller/White est interprété par le toujours brillant Albrecht Schuch. Son refus catégorique d'endosser une identité étrangère est tout à fait convaincant, à l'image du roman lui-même, qui adopte d'abord le point de vue de White. Ce n'est que progressivement que l'on comprend qu'il s'agit d'une crise d'identité profonde. Sept ans plus tôt, Stiller a rompu tous ses liens et fui une vie quotidienne où il n'était qu'un rouage interchangeable de la machine, son art superflu. À présent, le « système » veut le forcer à reprendre sa place, à le replonger dans son existence de consommateur et d'artiste sous contrat médiocre.
Dans le livre, on se rapproche progressivement de la « vérité » grâce aux entrées du journal intime de White durant sa détention provisoire, où il se confronte à son passé. Difficile à adapter au cinéma, cette structure narrative a incité les scénaristes à opter pour des retours en arrière afin de raconter l'histoire de Stiller.
Plusieurs incohérences sont regrettables ; on ignore pourquoi le jeune Stiller est interprété par un acteur différent dans les premiers flashbacks et uniquement par Schuch dans les suivants, de même que la raison pour laquelle certains flashbacks sont en couleur et d’autres en noir et blanc. Le côté kitsch frôle parfois l’excès – même si ceux qui ont toujours rêvé de voir Paula Beer danser sur les airs du « Lac des cygnes » seront ravis. Cependant, la raison pour laquelle Beer, dans le rôle de Julika, retombe amoureuse de Stiller après toutes ces années, un homme qui l’a tourmentée par son égocentrisme et sa froideur émotionnelle tout au long de leur relation, paraît difficile à croire, même pour le spectateur le plus bienveillant. La résolution finale de la question de l’identité semble être un artifice scénaristique artificiel qui n’apparaît pas dans le livre.
Bien entendu, le film s'éloigne considérablement de l'œuvre originale et la simplifie forcément pour la rendre plus accessible, assumant ainsi la simplification qui en découle. Cependant, la question demeure : l'œuvre, qu'il s'agisse du film ou du livre, est-elle encore capable de captiver un large public aujourd'hui ? Le film retranscrit assurément de manière crédible l'idée centrale du roman : la question de ce qui constitue une vie authentique et « bonne », et la possibilité d'échapper à son conditionnement et de se réinventer.
Stiller s'interroge sur lui-même et défend avec ferveur sa liberté de se réinventer. Si de telles interrogations pouvaient encore susciter la controverse dans les années 1950, il est aujourd'hui courant de remettre en question son image de soi et de rechercher la meilleure version de soi-même ; on nous y encourage d'ailleurs constamment. Livres de développement personnel, psychothérapies, panneaux publicitaires… tous nous le répètent : « Optimisez-vous ! Réalisez votre potentiel ! Réinventez-vous ! » Naturellement, à chaque fois grâce au produit correspondant.
D'une part, l'exploration du décalage entre l'image de soi et la perception extérieure, ainsi que la question de savoir si une vie authentique est possible sans jouer un rôle, restent d'une grande actualité ; d'autre part, les spectateurs pourraient être tentés de percevoir le conflit central comme trop simpliste au regard des critères actuels et, par conséquent, comme un problème peu urgent. « Stiller » tente de contrer cet écueil grâce à une production somptueuse. Les décors sont fidèlement reconstitués, l'atmosphère des années 1950 est parfaitement rendue et les costumes sont exquis. Paula Beer arbore de magnifiques robes, conduire reste un plaisir sans regret, et même la prison apparaît davantage comme un lieu raffiné de contemplation intérieure que comme un lieu de souffrance.
Faut-il reprocher au film son esthétique léchée ? Cela dépend des attentes et, bien sûr, de la connaissance ou non du roman par le spectateur. Oscillant entre divertissement grand public et film d'auteur, « Stiller » ne rentre dans aucune de ces catégories.
"Stiller", Allemagne/Suisse. Réalisé par Stefan Haupt. Avec : Paula Beer, Albrecht Schuch, Marie Leuenberger. 90 minutes. Date de sortie : 30 octobre
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