« Pays sûrs, droit d’asile menacé. La barrière constitutionnelle demeure"
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« Je ne me souviens d'aucun précédent concernant le comportement de la Commission européenne lors de l'audience devant la Cour de justice européenne mardi. » Bruno Nascimbene est avocat et professeur de droit de l'Union européenne à l'Université de Milan, ancien président du Centre d'excellence européen Jean Monnet.
Dans ses observations déposées il y a un mois, la Commission européenne s'était opposée à la possibilité de désigner comme « pays d'origine sûrs » ceux qui prévoiraient des exceptions pour des catégories entières de personnes. Lors de l'audience, il a exprimé une position opposée. Est-ce un comportement courant ? Non, ce n'est pas le cas. Honnêtement, je ne me souviens d’aucun précédent. La Commission s'est justifiée en affirmant qu'elle avait lu et pris en compte les commentaires des États membres et qu'elle avait donc décidé de changer d'avis. Mais en bref, cette position a provoqué une grande surprise à la Cour. En effet, le Président a expressément demandé confirmation que l'opinion de la Commission avait changé. Une justification pourrait être que l’institution juge opportun d’anticiper l’application du nouveau règlement inclus dans le Pacte de l’UE sur l’immigration et l’asile, en vigueur à partir de juin 2026.
Cela ne serait-il pas étrange étant donné que cet élément fait partie d’un ensemble de règles très complexe qui redéfinit l’ensemble du cadre réglementaire de l’asile ? En fait, je dirais à la Commission : si vous êtes si sûre de votre thèse, pourquoi ne proposez-vous pas aux gouvernements d'anticiper l'applicabilité du règlement ? Il n’est pas possible de l’appliquer par anticipation sans modifier celle en vigueur. Il est toutefois juste de dire qu’on ne peut pas simplement modifier la date d’un règlement inclus dans un ensemble. C'est compliqué, même si une solution n'est pas à exclure.
Revenons aux exceptions pour les groupes sociaux évoquées lors de l’audience. La Commission estime qu'il ne faut pas les lier à un critère quantitatif, à condition que les groupes menacés soient « clairement distinguables ». Qu'implique une telle interprétation ? Le critère quantitatif sur les groupes de personnes m’a intrigué depuis que je l’ai vu exprimé dans les observations écrites. Cette question a également fait l’objet de débats lors de l’audience. Il me semble que c'est un paramètre très liquide, malléable, doux si vous voulez. Cela introduirait une marge d’incertitude importante. Je ne sais pas si la Cour de justice abordera cette question spécifique dans son arrêt.
Si la thèse des pays membres et de la Commission était retenue, les centres en Albanie auraient-ils un feu vert définitif ou subsisteraient-ils des aspects d’illégitimité ? Ils auraient le feu vert. Le procureur général a beaucoup insisté sur le concept de « marge d'appréciation », c'est-à-dire sur le pouvoir discrétionnaire de chaque État, en particulier de l'Italie. Tous les pays sont d’accord sur ce point. À l’exception de l’Allemagne, qui s’est exprimée différemment, dans ses observations écrites plutôt qu’à l’audience.
Le Parquet italien soutient qu'il n'y a pas de différences en termes de garanties entre les procédures accélérées aux frontières, réservées à ceux qui proviennent d'un « pays sûr », et les procédures ordinaires. Je conteste cette idée. Si j’avais été dans une salle d’audience en tant qu’avocat, j’aurais dit : théoriquement oui, en fait non. C'est ce que nous disent les avocats qui travaillent sur le terrain, comme ceux présents à l'audience, et qui traitent quotidiennement des dossiers précis. Avec les procédures accélérées, les droits de la défense ne sont garantis que sur le papier. Les avocats représentant les demandeurs d’asile arrivés en Albanie se sont également plaints devant les juges nationaux des limitations imposées par le protocole.
S’il était possible d’étendre la désignation de sécurité à beaucoup plus de pays et que la majorité des demandeurs étaient ainsi soumis à des procédures accélérées, quel serait l’impact sur l’effectivité du droit d’asile ? Il subirait une compression importante. Et par ce terme, j’entends une limitation excessive. Je dois dire cependant que dans notre pays nous avons une disposition constitutionnelle, l'article 10, paragraphe 3 de la Constitution, qui en aucun cas ne peut être touchée. Elle reconnaît un droit fondamental de l’individu, indépendamment des obligations découlant du droit de l’Union européenne.
Le nouveau Pacte sur l’immigration et l’asile risque d’entrer en conflit avec la Constitution. C'est un peu théorique, mais il pourrait être question d'une contre-limite, ou plutôt d'une limite constitutionnelle de notre part à une compression d'un droit garanti par la Charte.
ilmanifesto