La Rochelle : condamnée à sombrer, l’ancienne drague du port sera finalement déconstruite

La drague « TD6 », classée monument historique, a été sortie de son alvéole de la base sous-marine où elle croupissait depuis 21 ans. Certains de ses éléments vont être sauvés
Dans la forme de radoub du Grand Port maritime, elle paraît toute petite. C’est pourtant bien un monstre d’acier de 30 mètres de long qui a revu la lumière lundi 26 mai après 21 ans passés dans l’ombre d’une alvéole de la base sous-marine. L’ancienne drague « TD6 », classée monument historique, propriété de la Ville, était à l’agonie. Le sauvetage de l’épave classée aux monuments historiques depuis 1992 devenait urgent. En novembre dernier, celle qui raclait dans un bruit d’enfer les fonds du chenal, du Vieux Port, des bassins et des Minimes de 1956 à 1987, a souffert d’une énième voie d’eau. Oublié de tous ou presque, son cas remontait sur la pile des priorités, au grand dam de la Ville qui ne savait pas trop quoi en faire. « Une épine dans le pied », déclare sans détour Anna-Maria Spano, adjointe en charge des musées et du patrimoine.
Après plusieurs réunions, il a été décidé de sauver ce « monument patrimonial », « la dernière drague à vapeur, la seule classée en France », insiste Cristina Baron, en posant un regard protecteur sur ce qui ressemble en l’état à un amas de ferraille. La directrice du Musée maritime de La Rochelle s’inscrit dans la courageuse lignée de l’un de ses prédécesseurs. À la fin des années 1980, Patrick Schnepp, fondateur du Musée maritime et président d’une association de sauvegarde, épargne la drague du ferraillage. Dans les couloirs de la mairie, tout le monde ne doit pas lui dire merci. Depuis son classement, elle a coûté près d’un million d’euros en frais d’entretien, de préservation, et de location d’alvéole à la Ville.

Romuald Augé
La voie d’eau de novembre n’a fait qu’accélérer l’inéluctable. Le Grand Port maritime souhaite récupérer son alvéole, la seule avec une belle hauteur dans le bassin à flot. De plus, en vue d’un classement du site en Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) en 2026, la présence de la drague bourrée d’amiante, de rouille et de peinture au plomb n’était pas compatible. « Elle aurait fini par sombrer et ça aurait triplé la note », prévient l’adjointe. Après de longues discussions, il a été décidé de réaliser une « déconstruction raisonnée, détaille Cristina Baron. C’est-à-dire démonter et valoriser certains éléments remarquables et emblématiques de son activité. » Le reste sera démantelé et recyclé, à l’exception de la coque qui contient des métaux dangereux.
« J’étais fascinée quand elle a été sortie de l’alvéole, l’apparition d’un dragon tapi dans l’ombre »
Le 12 juin, la Ville, en concertation avec la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), décidera de ce qui peut être sauvé. Cristina Baron a déjà fait une petite liste : « le château, alias le déversoir à vase est une belle pièce. Il y a aussi l’hiloire à chaudière, la rampe à godets et les deux roues. » Au terme d’un long projet de restauration et de valorisation, ces éléments pourraient, à terme, rejoindre la cloche, un godet et la machine à vapeur en présentation au Musée maritime.

Romuald Augé
Lundi 26 mai, tout le monde a retenu son souffle lors du transfert de la drague de la base sous-marine à la cale sèche. Un moment à haut risque où la vieille carcasse de 119 ans pouvait à tout moment, au mieux sombrer, au pire, tomber en morceaux. Une vingtaine de plongeurs de la société spécialisée dans les travaux sous-marins Atlantique Scaphandre ont assuré le remorquage. Six motopompes étaient positionnées à bord. La manœuvre a duré une heure, vitesse de pointe : 1,6 km/h. « Elle est bien charpentée, elle n’a pas bougé, raconte, soulagée, Cristina Baron. On avait peur que la force de l’eau engendre des fuites supplémentaires. J’étais fascinée quand elle a été sortie de l’alvéole, l’apparition d’un dragon tapi dans l’ombre. »
Cette opération de sauvetage, études et déconstruction raisonnée confondues, a un coût. 100 000 euros « d’argent du contribuable entièrement supportés par la Ville, reconnaît Anna-Maria Spano. La Drac n’intervient qu’à partir de la restauration à hauteur de 40 %. » Les travaux devraient commencer fin juin et durer un mois et demi. Cette action pourrait entraîner, de facto, le déclassement de la drague aux monuments historiques. « Pour l’instant, aucune opération de ce type n’est engagée », rassure la directrice du musée.
Il sera possible pour le public de la voir dans son intégralité lors de la Journée port ouvert le 15 juin. Après, ce sera trop tard. Anna-Maria Spano en sera soulagée. « Une fois qu’on aura fait tout ça, on n’en parlera plus ! »
SudOuest