Dans l’île de Ré, le combat acharné de passionnés pour sauvegarder le patois local

Michel Fruchard et Jean-Claude Bonnin ont consacré deux décennies à collecter récits, chansons et témoignages en patois rétais, notamment lors de veillées. La dernière aura lieu en octobre
Par les ruelles des villages de l’île de Ré, on n’entend plus guère résonner la musique râpeuse du patois. Mais depuis vingt ans, une poignée de passionnés s’efforce d’en préserver la trace. Réunis au sein du Corepor, le Comité pour le recueil du patrimoine oral rétais, ils ont multiplié collectes, veillées et éditions pour sauver ce qui pouvait l’être. Ce travail est collectif, porté par une vingtaine de bénévoles, mais deux figures se détachent : Michel Fruchard, fondateur et animateur, et Jean-Claude Bonnin, collecteur et scénographe.
« Le Corepor est né au début des années 2000, se souvient Michel Fruchard. La communauté de communes cherchait à lancer une collecte. Finalement, c’est tombé sur moi. » Rapidement, des groupes se forment dans chaque village pour aller voir les anciens, les enregistrer et retranscrire leurs souvenirs. « On arrivait avec un micro, et les gens commençaient par dire qu’ils n’avaient rien à raconter. Mais il suffisait d’un détail pour que les histoires affluent. »
Première en 2005Pour donner une visibilité à ce travail, l’équipe imagine la veillée des conteurs. La première, organisée en 2005 à Saint-Martin, attire déjà un large public. « Ça a tout de suite pris, raconte Michel Fruchard. Ensuite, chaque année, on remplissait la salle. C’était devenu un rendez-vous attendu. » Ces soirées mêlaient poèmes, chansons, contes et anecdotes en patois, portées par une mise en scène toujours plus aboutie.
« On a connu des soirées avec 300 personnes, ce qui, pour un spectacle en patois, est incroyable »
Car les veillées n’étaient pas de simples lectures. « J’ai voulu donner plus de rythme, explique Jean-Claude Bonnin. Alors j’ai organisé textes et chansons autour d’un thème, en alternant les formes. Peu à peu, ça a pris l’allure d’un vrai spectacle. » Musiciens, conteurs et chanteurs se relayaient sur scène. À l’entracte, on partageait un verre, avant de reprendre avec de nouvelles histoires. « Le public s’est pris au jeu. On a connu des soirées avec 300 personnes, ce qui, pour un spectacle en patois, est incroyable. »

Ismaël Anani
Parallèlement aux veillées, la collecte s’est poursuivie. Jean-Claude Bonnin a ainsi réalisé une quarantaine d’interviews à Rivedoux. « On enregistrait parfois deux ou trois heures. Les gens racontaient leur vie, chantaient des chansons oubliées. C’était émouvant, on sentait qu’ils transmettaient quelque chose qu’ils pensaient perdu. » Ces témoignages, comme l’ensemble des enregistrements, sont aujourd’hui déposés au musée Ernest-Cognacq. Michel Fruchard évalue à près de 300 heures le matériau recueilli, accessible aux familles, aux chercheurs et aux communes.
De ce travail est né le Cricri, Comité des chansons rétaises, qui a publié un livre-disque devenu référence : « Qu’est-ce que tu me chantes ? ». On y trouve une cinquantaine de chansons en patois, accompagnées de partitions, traductions et commentaires.
Tous en conviennent : le patois rétais ne se parle plus. « C’est une langue morte, confirme Jean-Claude Bonnin. Notre but, ce n’était pas de la ressusciter comme le basque ou le breton, mais de la sauvegarder. » Leur regret, partagé par l’ensemble du collectif, reste de n’avoir pas trouvé de relève. « On espérait que les veillées suscitent l’envie chez les jeunes, mais personne n’est venu. » Chaque année, un appel était lancé. En vain. Le noyau dur est resté composé de retraités passionnés.
Après vingt ans d’efforts, l’heure est venue de clore un cycle. Le 24 octobre prochain, à Saint-Martin, aura lieu la dernière veillée, placée sous le signe de l’adieu : « Les conteurs vous saluent bien ». « C’est une belle aventure, mais elle pompe toute notre énergie, reconnaît Michel Fruchard. Nous voulons désormais nous recentrer sur l’écrit, sur la littérature en patois. » Les projets ne manquent pas : recueils, éditions et dépôts d’archives pour prolonger la transmission autrement.
Entre cahiers exhumés, veillées partagées et voix enregistrées, le Corepor a fixé une mémoire qui, sans eux, se serait évaporée. Jean-Claude Bonnin résume : « Nous avons collecté des centaines d’heures d’interviews, publié un livre-disque, fait vivre vingt ans de veillées. C’est un patrimoine sauvegardé. » Michel Fruchard conclut, avec une pointe de mélancolie : « Le patois ne reviendra pas, mais au moins, on en aura gardé la trace. »
SudOuest