D’un village inuit à Transe Atlantique à Saintes, les enjambées d’Elisapie

Elisapie chante en inuktitut les tubes de la variété internationale. Elle a grandi dans un village inuit, percé au Québec et s’est mariée à un Français. Portrait d’une chanteuse engagée en piste au festival Transe Atlantique, samedi 23 août
Transe Atlantique a pour vocation d’établir des ponts entre la France et le Québec. En accueillant Elisapie, samedi 23 août, le festival saintais ouvre un autre horizon, celui du Grand Nord. Née en 1977 d’une mère inuk et d’un père terre-neuvien, la chanteuse a grandi à Salluit, une petite ville de 1 600 habitants, au Nunavik, que l’on ne joint que par avion. Depuis le Québec, elle se confie sur son parcours et ses combats.
Adolescente, elle participe à des émissions de radio. À 22 ans, elle s’envole pour Montréal, initialement pour suivre des études de journalisme. « C’est une décision qui venait vraiment de loin, en moi. Je pensais qu’il fallait que je me perde quelque part. L’idée d’aller vers les arts, c’est quelque chose de très difficile dans le Nord, même si on a toujours été des artistes depuis des millénaires. On a une vision spirituelle, très connectée à la nature. »
En 2001, elle est embarquée dans une série documentaire sur les peuples du cercle polaire. « J’étais dans une sorte de crise identitaire. Je voulais partager cette sorte de quête. Dans la narration, je parle à mon grand-père, décédé, un homme très traditionaliste. Je m’interroge sur ce que c’est que d’être inuk à notre époque. »
Racisme et intoléranceElisapie Isaac arrive à se frayer un chemin dans « le petit espace » que l’on octroie aux artistes dits « autochtones ». « Nous avons été oppressés par les blancs. Dans les années 1960, on était encore nomades. On nous arrachait nos chiens, on envoyait nos enfants dans des pensionnats où ils se faisaient arracher leur langue, leur fierté. Dans les villes, il y avait beaucoup de racisme, d’intolérance. Quand j’ai commencé, je ne pouvais pas parler sans que l’on me renvoie à des clichés », gronde-t-elle.
L’artiste parle avec flamme et tendresse des siens. Elle n’hésite pas à mettre les pieds dans les plats, mais ne veut pas être réduite à un rôle de porte-parole. « J’ai eu une bonne étoile qui m’a permis de garder le positif. J’ai été très curieuse, je me suis toujours adaptée. J’ai l’impression que si je ne m’adapte pas, personne ne va m’écouter. Je cherche encore ma place. »
« Un petit câlin »Pendant la pandémie, elle a un déclic en écoutant des classiques de la variété internationale. « Souvent les grandes chansons sont là pour nous donner un petit câlin », dit-elle joliment. Traduits en inuktitut, qui donne son nom à son disque, les tubes prennent une autre couleur. Comme cette version de « I want to break free », de Queen, qui la ramène à un cousin qui l’a initié à la danse, et qui s’est suicidé. « Ces chansons ont été nos amies à l’époque où l’on ne nous écoutait pas. »
« J’offre aux gens de voyager et de faire le chemin avec nous. Je n’ai pas réalisé, en faisant cet album-là, que ça allait être un miroir pour les gens, aussi »
Sur scène, elle expose les histoires qui se cachent derrière les notes. « J’offre aux gens de voyager et de faire le chemin avec nous. Je n’ai pas réalisé, en faisant cet album-là, que ça allait être un miroir pour les gens, aussi. Certains pleurent même si ce n’est pas leur histoire. Il y a un sentiment de culpabilité par rapport à ce qu’on a fait subir aux autochtones. Ils se sentent en sécurité en ma présence, ils ont le droit de pleurer avec nous. »
Mariée à un Français, Elisapie a beaucoup tourné sur notre continent. Elle se réjouit de le retrouver. « J’ai compris que les Français aiment quand ça brasse. J’ai l’impression que cet album est un voyage, ça envoie musicalement. Les gens sont très réceptifs aux histoires que je raconte. Ils embarquent dans l’émotion. » Fière d’être l’ambassadrice de la culture inuit, elle reste connectée au Grand Nord à travers son travail, alors que ses proches sont restés là-bas. « Je suis l’aventurière de la famille », sourit-elle.

Mathis Maudet/SO
SudOuest