« Avec Bruno Retailleau, les adhérents LR ont choisi la ligne du conservatisme national »

L’avènement de Bruno Retailleau à la tête des Républicains, à l’issue d’un duel avec Laurent Wauquiez qu’il a remporté en recueillant près de 75 % des suffrages, semble marquer une rupture ou, du moins, une inflexion forte dans l’histoire de ce parti. Comme l’UMP dont il a pris la suite en 2015, le parti LR a longtemps aspiré à rassembler les différentes familles de droite – conservateurs, néogaullistes, libéraux, radicaux et même des démocrates-chrétiens – pour lutter aussi bien contre la gauche que contre l’extrême droite.
Il s’inscrit ainsi dans une démarche de rassemblement et même de dépassement du clivage droite gauche, qui s’inspire ouvertement du gaullisme et qui a permis les succès électoraux de ses deux leaders successifs, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, à l’élection présidentielle.
Entré en politique dans le sillage de Philippe de Villiers, qui a rompu avec la droite traditionnelle dès le début des années 1990, Bruno Retailleau est étranger à cette histoire. S’il a rallié l’UMP, fort tardivement en 2010, c’est pour défendre une ligne conservatrice et nationale, qui a longtemps été clivante et marginale au sein de LR. Sa très large victoire révèle ainsi l’évolution de ce parti, qui se reconnaît désormais massivement dans ce conservatisme national, défendu également par son concurrent Laurent Wauquiez.
Il faut voir là l’effet de la recomposition macroniste qui, en incarnant un libéralisme de centre droit, a contraint LR à adopter un positionnement qui lui permet de se distinguer aussi bien du « bloc central » que du Rassemblement national. En 2022, la candidature présidentielle de Valérie Pécresse – une héritière de Jacques Chirac – avait montré l’échec d’une stratégie de rassemblement des droites qui, faute d’un axe politique identifiant et clairement distinctif, rendait la droite traditionnelle quasiment illisible et hors-jeu.
En choisissant Bruno Retailleau pour incarner LR, les adhérents du parti, mais aussi ses principaux leaders (dont Valérie Pécresse elle-même) ont adopté une stratégie inverse, qui rompt avec les choix effectués par la droite modérée depuis la fin du XXe siècle. Ils signent ainsi la deuxième mort de Jacques Chirac.
Au-delà de cette rupture stratégique évidente, Bruno Retailleau s’inscrit pourtant dans la continuité de l’histoire de la droite de gouvernement. Face à un concurrent, Laurent Wauquiez, qui a incarné une droite d’opposition, volontiers populiste, en multipliant les déclarations provocatrices, l’ancien sénateur de la Vendée – et président du groupe républicain au Sénat – a délibérément choisi un style beaucoup plus modéré que ne l’est son discours : il a ainsi refusé ainsi la tentation d’une trumpisation de la droite. Il rappelle ainsi implicitement que l’atout majeur d’une droite que l’on qualifie souvent de parlementaire réside, aujourd’hui comme dans toute l’histoire des XIXe et XXe siècle français, dans son réseau d’élus : les partis de droite sont généralement des partis de notables.
Surtout, l’ascension politique récente de Bruno Retailleau, étroitement liée à son avènement au ministère de l’intérieur, renvoie à un autre élément central de l’identité de la droite : sa vocation à gouverner. Si les sympathisants de la droite ont été nombreux à s’inscrire pour élire le président de LR, c’est d’abord pour que celui-ci conduise le parti à la victoire et à l’exercice du pouvoir.
Comme naguère Nicolas Sarkozy, en exerçant la fonction de ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau a pu mettre en avant une action personnelle sur des domaines – la sécurité, l’immigration – qui sont au cœur de son projet politique comme des préoccupations des sympathisants de droite. Mais surtout, en intégrant un gouvernement de coalition dans un contexte où la France était menacée par l’instabilité gouvernementale et le risque d’une impasse politique, il a montré une aptitude au compromis qui, là encore, est une caractéristique de la droite traditionnelle.
Si la victoire de Bruno Retailleau marque un durcissement du discours du principal parti de droite traditionnelle sur des thématiques nationales, conservatrices et régaliennes qui la distinguent clairement du « bloc central », elle exprime aussi la survivance d’une culture politique qui caractérise cette famille politique : le poids des élus et des notables, la pratique parlementaire, une certaine forme de pragmatisme, le rapport privilégié au pouvoir…
Face à la concurrence du centre droit libéral et des populismes, Bruno Retailleau entend ainsi revenir aux sources de cette droite traditionnelle, qui fut notamment incarnée par Antoine Pinay. S’il a réussi à convaincre un nombre important de militants, y compris parmi ceux qui ont tout récemment adhéré à LR, ce pari permettra-t-il la reconquête électorale d’un parti qui, depuis quinze ans, a enchaîné les défaites ?
La Croıx