La K-pop, un phénomène mondial qui peine à convaincre en France

ENQUÊTE - La pop coréenne, portée par BTS et les Blackpink, s’est installée ces dernières années dans le paysage musical international. Moins en France, qu’ailleurs.
Paris s’apprête une nouvelle fois à vibrer au son de la K-pop. Samedi soir, le groupe Blackpink investit le Stade de France, où plus de 55 000 fans les attendent. Ces quatre filles, dont les noms Lisa, Rosé, Jennie et Jisoo, ne vous disent peut-être rien ; elles font partie des artistes les plus écoutés au monde. Sur YouTube, huit de leurs singles dépassent le milliard de vues, tandis que 32 millions de personnes écoutent leur musique chaque mois sur Spotify. Dans le même temps, un groupe non moins populaire, connu sous le nom de BTS, sort un documentaire, intitulé Forever We Are Young, à destination de ses fans. À eux seuls, les deux collectifs exercent un quasi-monopole sur l’industrie musicale coréenne.
La K-pop est apparue au courant des années 1990 avec l’émergence du groupe Seo Taiji & Boys, influencé par le rock et la musique américaine. Elle a été fortement popularisée par PSY au début des années 2010 avec son hit Gangnam Style . Et en 2023, le constat est là : 19 des 20 albums les plus vendus au monde appartiennent à la musique coréenne. Seule Taylor Swift se fait une place au milieu de cette domination sans égale. « C’est un courant musical majeur à l’échelle internationale, constate Angelo Gopée, directeur général de Live Nation France. La K-pop est une véritable expérience. Les fans s’amusent, dansent, se costument, vivent leur passion. Ça n’existe pas ailleurs. C’est un mode de vie. »
Passer la publicitéBlackpink - JUMP (2025)
Si la K-pop rencontre un tel succès, c’est grâce à sa diversité. Certes, le genre « reste de la pop », tient à rappeler Margaux, 20 ans, grande fan des BTS et des Stray Kids depuis 2020. « Les musiques sont simplement chantées en coréen », remarque-t-elle. Mais on y trouve de tout. Le rap, par exemple, occupe une place prépondérante dans les groupes de K-pop actuels. « C’est plein de styles différents, à savoir de la pop, du rock ou du hip-hop », admire Salomé, 20 ans, fan du groupe Bigband depuis six ans.
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À l’image des Spice Girls, ou plus récemment des One Direction, les artistes de K-pop forment de véritables boys et girls bands. Blackpink, Stray Kids, ou encore NCT, sont, depuis la fin des années 2010, les nouvelles « stars people » des jeunes. Pour BTS, leurs fans se revendiquent membres de l’ARMY. Ce collectif, fondé en 2013 au lancement du groupe, les suit partout dans leurs aventures. En France, un site web lui est dédié, tout comme un compte sur Instagram réunissant près de 24 000 passionnés. « J’ai fait partie des ARMY, confie Salomé. Quand on l’intègre, on s’informe de toute l’actualité des artistes. On n’écoute pas seulement la musique. On regarde des émissions, on lit des livres... » Jeanne, 17 ans, se considère comme « Blink », le nom donné aux fans du girls band Blackpink.
« C’est plus une industrie qu’un genre musical, souligne Margaux. On écoute les chansons, on achète les albums, on apprend à connaître les membres du groupe. Il y a beaucoup de contenu. C’est différent des artistes francophones ou américains. Il y a plus de proximité avec les fans. » Les artistes K-pop sont aussi une manne financière importante. Selon un rapport de l’Institut coréen de la culture et du tourisme, publié en juillet 2024, l’industrie aurait généré plus de 893 millions de dollars en 2023. Comment ? En vendant des albums, certes, sous forme de vinyles, CD ou sur les plateformes de streaming musicales comme Spotify, Apple Music et Deezer. Mais aussi en proposant à la vente des produits dérivés en tout genre.
En début de semaine, le Paris Saint-Germain, champion d’Europe en titre, a annoncé une collaboration avec les Blackpink, à l’occasion du coup d’envoi de leur tournée européenne ce week-end au Stade de France. Les fans pourront ainsi retrouver des éditions limitées de t-shirts et de sweats à capuche ornés des logos PSG et Blackpink. Chaque sortie d’album, moyennant deux parutions annuelles, est également accompagnée de son lot de goodies (payants). Le prochain disque de Stray Kids, intitulé Karma et attendu le 22 août, est actuellement en précommande. Un poster et une « photocard » complètent le lot.
Passer la publicitéCette « photocard » est « inspirée des images panini », explique Linda Li, responsable de la boutique Tai You dans le XIIIe arrondissement parisien. Son enseigne est l’une des premières d’Europe à s’être spécialisée dans l’univers de la K-pop. Elle a ouvert dans les années 2000 dans le quartier asiatique, au moment où la J-pop, la pop japonaise, était à la mode. « La clientèle a augmenté vers 2016 avec l’arrivée de BTS, remarque-t-elle. Encore plus avec le confinement où les gens ont pris le temps de découvrir la K-pop. » Sa boutique, de seulement quelques mètres carrés, est un lieu de rendez-vous incontournable pour les fans. « On vend des vinyles, des CD, des livres, des photocartes ou des vêtements », liste Linda. Il y a aussi des porte-clés, des pins, des pots de fleurs ou même des magazines. Une véritable caverne d’Ali Baba pour les passionnés. La clientèle de ce magasin, composée de « jeunes filles d’une vingtaine d’années », reste très communautaire. « Les gens reviennent, confie la responsable. On est tous fans des mêmes groupes. On souhaiterait faire découvrir ce genre musical à tout le monde. »
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Car malgré son succès mondial, la K-pop reste relativement communautaire. Certains pays du globe l’ont déjà adopté, à l’instar des États-Unis où Bruno Mars a récemment associé sa voix à celle de l’artiste coréenne Rosé sur le single APT. Nos voisins britanniques aussi se sont intéressés à ce genre musical dès 2021 avec la sortie d’une collaboration entre le groupe londonien Coldplay et BTS sur My Universe. « C’est devenu une musique très commerciale, très américanisée », regrette même Gabriela. Pour Salomé, cette nouvelle K-pop, chantée en anglais, ne marque aucune différence avec « le style des Beatles ou des Rolling Stones ».
En France, on a tendance à être très sévère avec la nouveauté
Yun, chanteuse de K-pop française
La France est plus réfractaire. Selon un sondage de novembre 2024 dans 26 pays du monde par les ministères de la Culture, des Sports et du Tourisme coréens, seulement 57,3 % des Français ayant écouté de la K-pop donnent un avis favorable. À titre de comparaison, la moyenne mondiale est fixée à 70 %. Le public français également celui qui rejette le plus ce genre musical avec un taux passé de 21,7 % en 2023 à 24,2 % en 2024. Près d’un tiers (31,3 %) des habitants de l’Hexagone se dit même réticent à l’idée d’investir dans cette industrie. Pourquoi ? La K-pop a un style bien particulier. « En France, on a tendance à être très sévère avec la nouveauté », constate Inès Pillot, alias Yun, rare chanteuse française de K-pop.
Cette jeune parisienne de 24 ans a fait le pari en 2019 de se lancer dans la pop franco coréenne, une première dans le pays. Clips colorés, refrains « catchy », chorégraphies... L’artiste a emprunté au « Pays des Han » son savoir-faire, pensant « faire quelque chose qui sort de l’ordinaire » et pouvant « plaire aux non-initiés ». « Ça n’a pas été si bien accueilli, admet Yun. Au début, ça a même été mal perçu. Des gens m’ont reproché de faire du copier-coller. En plus, je suis arrivée trop tôt. Personne n’osait faire ça. Et aujourd’hui, en tant qu’artiste indépendante (elle était chez Sony Music en 2019, NDLR), c’est devenu difficile de travailler. »
Yun - Échec & Mat (2019)
Au lancement de sa carrière, la jeune Yun était écoutée par quelque 26 000 personnes chaque mois sur la plateforme Spotify. Son premier single Échec & Mat atteint presque le million de vues sur YouTube. Ces derniers temps, elle « ne fait plus de clips », arpente les petits festivals et propose ses services à des courts-métrages. La chanteuse aurait espéré gagner plus de notoriété après ses débuts prometteurs. Mais les réticences sont encore trop importantes. Notamment devant la barrière linguistique. « Les paroles ont toujours été mal accueillies », remarque-t-elle. Un sentiment partagé par Salomé : « C’est un style musical très original, surtout au niveau de la langue. » 9,1 % des Français estiment d’ailleurs que la K-pop est « difficile d’accès » pour cette raison.
D’autant plus que le genre musical n’a jamais laissé d’empreinte réelle sur la musique française. Dans leurs morceaux, les artistes coréens ne manquent pas de faire des références à l’Hexagone, certes. Le girls band Izone a titré l’un de ses morceaux La Vie en rose en 2018, en hommage à Édith Piaf. NCT Dream a sorti Déjà vu en 2020. Mais les collaborations entre artistes français et coréens se comptent malheureusement sur les doigts d’une seule main. Il y a deux ans, DJ Snake, compositeur franco algérien, s’est associé à Jung Kook sur le morceau Please Don’t Change, extrait de son album GOLDEN. En 2018, en plein essor de la K-pop, le DJ français Hcue de WATI B a dévoilé le titre I Feel So Lucky avec A.C.E. Difficile d’en trouver d’autres. « C’est dommage, déplore Yun. D’autant plus que les Coréens aiment la mode, la France et Paris. Ils ont peut-être peur et se disent que notre langue est plus sensible que l’Anglais. »
Jung Kook et DJ Snake - Please Don’t Change (2023)
La K-pop souffre encore d’une méfiance vis-à-vis des phénomènes de groupe. Longtemps, et c’est encore le cas, les fans - appelés aussi netizens - ont été stigmatisés. « Pour les gens, nous sommes des filles de 14 ans avec les cheveux colorés, témoigne Salomé. Il y a une part de vrai, mais ça ne correspond pas à tous les fans. Il y a aussi des hommes et des personnes de 50 ans aux concerts, pas seulement des collégiennes. » Margaux admet que la K-pop a « une mauvaise image ». Selon elle, ce reproche est principalement fait aux fans, considérés pour une partie d’entre eux comme « hystériques, fous, ou dingues ». « On met tout le monde dans le même panier », s’exclame-t-elle. La chanteuse Yun enchérit : « Les fans sont souvent assimilés à des amoureux de l’Asie, des animés, ou des mangas. On dit que ce sont des personnes bizarres, dans leur monde. »
J’avais peur que certains garçons de ma classe me critiquent
Gabriela, fan de K-pop
Ces remarques se transforment parfois en discrimination. Gabriela dit avoir déjà entendu des « propos homophobes » à l’encontre des chanteurs d’un groupe de K-pop. « J’avais peur aussi que certains garçons de ma classe me critiquent », poursuit la jeune fan. Salomé confie à son tour avoir ressenti « du jugement au collège » et avoir été « pointée du doigt par les garçons de sa classe » également. « On m’a carrément tiré les cheveux pour ça », se souvient-elle. Par conséquent, il est difficile pour toutes ces jeunes filles d’affirmer leurs goûts musicaux. « J’évitais de dire à tout le monde que j’écoutais de la K-pop par peur d’être mise à l’écart », s’aperçoit Gabriela. « Ce n’est pas le style de musique que je vais prétendre écouter en premier quand on me demande ce que j’aime, ajoute Margaux. Je ne connais personne qui écoute de la K-pop dans mon entourage et je n’ai donc pas trop l’occasion d’en parler. »
Tout n’est cependant pas noir. Malgré ces freins, la K-pop attire « entre 300 000 et 500 000 passionnés en France », estime Angelo Gopée, directeur général de Live Nation France. En 2025, les artistes coréens ont rempli de nombreuses salles de concert dans l’Hexagone. Le 30 mars, TOMORROW X TOGETHER a investi l’Accor Arena. Plus récemment, le girls band Ive a livré une formidable performance lors du festival Lollapalooza à l’hippodrome de Paris Longchamps. « Elles ont apporté une certaine fraîcheur à l’événement, se réjouit Angelo Gopée. Le public, qui était pourtant plus large, a apprécié. Ils étaient étonnés de voir qu’il y a du rock, du hip-hop, ou encore de la techno. Personne ne s’est ennuyé. » Les 26 et 27 juillet derniers, le groupe Stray Kids a, lui, enflammé le Stade de France. Et ce week-end, les Blackpink auront comme mission de conquérir ce public français dans l’enceinte de Saint-Denis. Certes le public n’est pas uniquement composé de Français, ces grands concerts attirants bien au-delà des frontières. Mais pour ses promoteurs, c’est le signe que les choses évoluent.
« Au niveau des concerts, la K-pop n’est plus un genre musical niche en France », relate celui qui a organisé le premier concert de K-pop dans l’Hexagone en 2011. Et d’ajouter, convaincu : « 110 000 personnes sont attendues ce week-end pour voir Blackpink. Sur les deux dernières semaines, avec les shows de Stray Kids, on compte plus de 200 000 spectateurs. C’est du jamais vu. Les concerts étaient complets en dix minutes. »
Pas à pas, la K-pop essaie de se faire une place dans le paysage musical français, au milieu du rap, genre numéro un depuis plusieurs années, ou de la variété. Soul, l’un des membres du groupe P1HARMONY, a d’ailleurs fait des avances au Marseillais SCH, lui proposant une collaboration en 2021. Lors des Jeux de Paris, l’aîné des BTS, tout juste relâché de son service militaire obligatoire de 18 mois, a participé au relais de la flamme olympique le 14 juillet dans la capitale. Une immense foule attendait son passage. À Lyon, un festival dédié à la culture coréenne et plus particulièrement à la K-pop est organisé chaque année depuis 2022, rassemblant près de 4000 personnes. Un même événement se tient à Paris.
Signe des temps, la K-pop est même devenue un objet de discussions... diplomatiques. En mars, l’ambassade de France à Séoul, le Centre national de la musique et plusieurs studios d’enregistrement sud-coréens ont organisé un « atelier K-pop » réunissant des artistes des deux pays « pour six jours de collaboration créative », rapporte le Korea Times. Une quinzaine de morceaux a été produite lors de cette rencontre, parfois même avec des paroles et des titres en français. Et avec le retour des BTS l’année prochaine - ils ont annoncé une tournée mondiale et la sortie d’un nouvel album en 2026 - la communauté K-pop française risque de faire encore plus de bruit. « Il n’y a encore rien de fait, mais il y a une véritable attente, parie Angelo Gopée. Si BTS vient pour un Stade de France, tant mieux... »
lefigaro