«L’amour est tout près» : Karine Le Marchand et cinq distributeurs mettent en scène leur soutien aux agriculteurs
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Aux côtés de l’animatrice de télévision, Carrefour, Intermarché, Coopérative U, Auchan et le groupe Casino se sont engagés, ce mercredi, sur trois piliers pour soutenir les producteurs, dont l’un sera mis en place dès le 1er mars.
L’initiative est pour le moins originale. Dans une salle de conférences du Salon de l’agriculture, qui se tient Porte de Versailles jusqu’à dimanche, les grands noms des distributeurs français ont répondu à la proposition de Karine Le Marchand ce mercredi. L’animatrice de l’émission «L’amour est dans le pré», très engagée pour les agriculteurs, a sollicité la grande distribution pour faire bouger les lignes de ce secteur en difficulté.
«On ne va pas attendre que les politiques fassent quelque chose, moi je n’y crois pas», a lancé la présentatrice. À ses côtés, hochant leurs têtes, les représentants de cinq enseignes, à savoir Thierry Cotillard, président du groupement Mousquetaires (Intermarché), Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U, Alexandre Bompard, PDG du groupe Carrefour, Philippe Palazzi, directeur général du groupe Casino et président de Monoprix et Guillaume Darrasse, directeur général d’Auchan Retail et président d’Auchan France. Plusieurs manquent à l’appel, comme Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des enseignes du même nom ou encore John Paul Scally, président de Lidl France.
Qu’à cela ne tienne. Karine Le Marchand et les cinq distributeurs ont annoncé une série de trois mesures à destination des agriculteurs, dont la première commencera au niveau national à partir du 1er mars prochain. Intitulée «l’amour est tout près», elle vise à soutenir les petits producteurs ou agriculteurs en difficulté financière. «On va leur ouvrir l’ensemble des enseignes participantes pour écouler, en direct et sans intermédiaire, leur production et générer un revenu supplémentaire», explique Dominique Schelcher.
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Concrètement, les agriculteurs qui ont deux salariés maximum, hors saisonniers, pourront se rendre dans les magasins partenaires à moins de 100km de leur exploitation pour proposer leurs produits, au tarif qu’ils souhaitent, sans négociation de la part des distributeurs. Ces derniers s’engagent ensuite à les payer sous trente jours.
Dans les magasins Carrefour, Intermarché, Casino, Auchan et Coopérative U, une «signalétique particulière» sera apposée dans les rayons comme «repère pour les consommateurs». Les clients pourront ainsi repérer directement les produits d’un agriculteur local en détresse et le soutenir en achetant ses références. Karine Le Marchand l’espère, «les consommateurs seront prêts à dépenser un peu plus pour les soutenir». Sur le terrain, la Chambre de l’Agriculture «se propose de servir de relais, avec des formations sanitaires et de vente possibles pour les producteurs».
Si les distributeurs reconnaissent qu’il n’est pas aisé pour un professionnel de demander de l’aide, Thierry Cotillard les appelle à «être proactifs» tandis que Dominique Schelcher leur conseille «d’oser nous contacter». Cathy Heraud, viticultrice en Nouvelle-Aquitaine et participante de la quinzième saison de l’Amour est dans le pré, s’est rapprochée d’Intermarché pour écouler son vin rouge. «Aujourd’hui, c’est moi qui fixe mon prix», lance-t-elle, fièrement. La productrice regrette l’inaction du gouvernement : «On ne peut pas dire qu’on est en difficulté car personne ne nous écoute, on ne peut pas avancer.»
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Deuxième pilier de cette coalition inédite, «l’aide à la surproduction» qui touche de nombreuses filières. «Ça déséquilibre le marché avec des prix et le revenu des agriculteurs qui s’effondrent, en plus d’un gaspillage alimentaire», souligne Alexandre Bompard. Le représentant de Carrefour milite «pour qu’il y ait une alerte». Dans les magasins, une signalétique dédiée signalera au consommateur qu’une filière de fruits ou de légumes est en surproduction, «pour écouler un maximum de l’excédent». L’an dernier, neuf épisodes de surproduction, par exemple des tomates ou encore des échalotes, étaient survenus en France.
Si la démarche est, pour l’heure, réservée aux fruits et légumes, les distributeurs n’excluent pas de l’ouvrir à d’autres produits. Avec Karine Le Marchand, les représentants de la grande distribution ont également lancé un appel à destination des organes de presse pour diffuser ces épisodes de surproduction. «On espère que les consommateurs seront à nos côtés et cette mesure pourra également permettre de leur faire prendre conscience qu’il y a une saisonnalité», sourit Alexandre Bompard.
Troisième et dernier pilier présenté ce mercredi, «l’observatoire des filières d’avenir». «Un enjeu démographique» alors que 43% des chefs d’exploitation français ont plus de 55 ans, posant un problème de renouvellement des générations. «Il faut penser l’avenir et l’organiser, avec des attentes des consommateurs qui vont évoluer», souligne Thierry Cotillard, du groupement Mousquetaires. Dans le détail, les distributeurs vont «créer un nouvel outil pour analyser les filières et fédérer toutes les compétences». «On se fixe un objectif qui est d’accompagner les producteurs de façon efficace, tant sur l’Europe, l’environnement que l’économie», insiste Guillaume Darrasse d’Auchan.
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Pour Thierry Cotillard, les premières remontées vont devoir «venir des chambres d’agriculture et des syndicats afin de définir les filières qu’il va falloir consolider». D’un ton assuré, il assure aux côtés de ses confrères «s’engager et signer les premiers contrats pour les gens qui seront en reconversion» avec la présentation «des premières conclusions dans un an», à l’occasion du prochain Salon de l’agriculture. Des contrats de trois à cinq ans devraient ainsi être signés entre les différentes parties. Dans la salle de conférences, Pol Devillers, vice-président du syndicat agricole Jeunes agriculteurs, «salue cette initiative». «Il nous manquait le dernier maillon, il y a un énorme travail à faire ensemble pour structurer les filières», avance-t-il.
Si les cinq distributeurs mettent en avant une «force de frappe évidente, avec un engagement de chacun et chacune», ils déplorent l’absence de leur collègue Michel-Edouard Leclerc, dont les magasins Leclerc représentent 22% du marché en France. «Sans lui, on ne peut pas mettre la pression sur les industriels», soupire Karine Le Marchand, qui ne cache pas son énervement. Un quatrième pilier, initialement prévu puis abandonné à cause de la non-participation de Leclerc, visait ainsi à accentuer la pression sur ces acteurs, à l’heure où les négociations commerciales pour fixer les prix doivent se terminer dans quelques jours, dans un contexte tendu. «Les consommateurs en tireront les conséquences», menace l’animatrice. Alexandre Bompard se veut plus mesuré et se dit «convaincu que petit à petit les magasins Leclerc rejoindront nos actions». «Il n’est pas là ce matin, il sera là demain», souffle-t-il. Contacté, le groupe Leclerc salue auprès du Figaro «la démarche de Karine Le Marchand et de nos confrères distributeurs, pleinement alignée avec notre philosophie. Notre absence à cette réunion ne remet pas en cause notre soutien envers les agriculteurs français. Au contraire, nous avons déjà mis en place de nombreuses initiatives pour l’agriculture locale et assurer une rémunération équitable des producteurs».
La veille de cette prise de parole, le label Agri-Ethique n’avait pas caché son incompréhension. «Faire des annonces “pour soutenir les agriculteurs” à quelques jours de la fin des négociations commerciales 2025, dans un contexte extrêmement tendu, est assez ahurissant. Si l’initiative permet d’apporter une juste rémunération des agriculteurs sur le long terme, pourquoi pas. Mais encore faut-il que le modèle soit challengé et vraisemblable», indiquait Ludovic Brindejonc, directeur du label. Ce mercredi, une fois les annonces passées, il exprimé qu’il était «aujourd’hui plus cohérent de rejoindre un label d’agriculteurs plutôt que d’en créer un énième et avec la grande distribution».
Même constat pour Dominique Chargé, président de la Coopération agricole : «Il faut saluer toute initiative visant à améliorer le revenu des agriculteurs. Mais soyons honnêtes : réunir cinq distributeurs autour de Karine Le Marchand ne suffira pas à sauver l’agriculture française ni à rééquilibrer les rapports de force.» Selon lui, «un acteur clé est systématiquement oublié dans ces débats : les coopératives agricoles. Elles fédèrent 3 agriculteurs sur 4 et représentent la moitié de ce que les Français consomment chaque jour. Ignorer cette production agricole organisée, c’est fragiliser les agriculteurs et compromettre l’avenir de nos territoires».
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