Justice. Viols d'enfants en streaming : des victimes anonymes, mais pas oubliées

Face aux viols en streaming, la machine pénale s’est mise en route. Toutefois, les premiers procès font le constat d’une absence encore majeure : celle des victimes, qui restent dans l’anonymat et l’ignorance à des milliers de kilomètres de là. « Juridiquement, leur identification et leur présence ne sont pas nécessaires », rappelle Me Agathe Morel, avocate de l’association ACPE (Agir contre la prostitution des enfants). « Mais c’est surtout pour elles que cela est dommageable, car elles ne peuvent pas obtenir d’indemnisation alors que ce sont souvent de très jeunes gens totalement démunis. La plupart ne savent même pas qu’un procès a lieu. »
Dans le cas emblématique de Bouhalem Bouchiba, condamné l’an passé à 25 ans de réclusion, « une incertitude sur l’âge réel des mineurs abusés sexuellement persiste », avait admis la juge d’instruction, « compte tenu de l’absence de collaboration des autorités philippines, qui ne nous ont pas fait de retour des identifications et auditions de fillettes pourtant sollicitées ». Dans une affaire similaire, celle du Bisontin Jean-Christophe Quenot, qui a filmé les viols qu’il commettait sur des enfants en Malaisie, les jeunes victimes n’avaient pas toutes été formellement identifiées avec nom et prénom non plus. Sans que cela soit un frein aux poursuites, dans la mesure où la minorité est évidente à l’écran.
Une filière pédocriminelle internationale démanteléeÀ l’audience, il n’y a finalement que les associations pour porter leur parole, indirectement. « Les trois demandes d’entraide pénale internationale émises à destination de la Malaisie étaient restées sans réponse », regrette là encore la magistrate qui a instruit le dossier. Ancienne cadre de l’Office mineurs (Ofmin) aujourd’hui en disponibilité de la police nationale, Véronique Béchu garde le souvenir unique d’une jeune fille qui a pu témoigner en visioconférence au cours d’un procès. Les autres restent des fantômes. « L’indemnisation des victimes, qui vivent dans des conditions d’extrême pauvreté, pourrait pourtant être un moyen de les sortir de leur environnement par une formation ou une éducation », appuie-t-elle en insistant sur l’importance d’une coordination avec les associations « qui connaissent le terrain » sur place.
Sur ce sujet-là aussi, la justice avance. Le parquet de Paris, qui dispose d’une compétence nationale (mais pas exclusive) sur les dossiers de pédocriminalité en ligne, a participé en juin dernier au démantèlement d’une chaîne pédocriminelle internationale de streaming, du commanditaire français aux exécuteurs locaux basés en Colombie, en passant par les money runners qui collectent l’argent. L’opération a permis « l’identification et la mise à l’abri des jeunes victimes » violées, indique la procureure de la République de Paris Laure Beccuau. Un nouveau pas, soutient la magistrate, dans la lutte contre « l’exploitation tragique hors de nos frontières de jeunes victimes par des pédophiles français ».
Le Journal de Saône-et-Loire