Jeff Bezos annonce limiter les points de vue autorisés dans la rubrique «Opinions» du Washington Post
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Le propriétaire du titre souhaite recentrer la rubrique sur la «défense des libertés individuelles et du libre marché», et écarter les tribunes divergentes à ces deux principes. Le rédacteur en chef du service a démissionné.
Changement en vue au Washington Post. Le rédacteur en chef de la rubrique «Opinions», David Shipley, annonce quitter ses fonctions au sein du journal. Sa démission fait suite au souhait exprimé par l’actionnaire du titre, Jeff Bezos, par ailleurs propriétaire d’Amazon, de repositionner les tribunes publiées par le quotidien.
Dans un mail adressé à l’ensemble de la rédaction, le milliardaire américain explique que cette rubrique sera désormais recentrée autour de «deux piliers» : les «libertés individuelles» et le «libre marché». «Nous allons couvrir d’autres sujets, bien sûr, mais les points de vue opposés à ces deux piliers seront publiés dans un autre journal que le nôtre», écrit-il.
Jeff Bezos revendique un changement de ligne en phase avec l’héritage des États-Unis. «Je suis de l’Amérique et pour l’Amérique, et fier de l’être. Notre pays n’en est pas arrivé jusqu’ici en étant comme les autres. Et une grande partie du succès de l’Amérique vient de la liberté, dans le domaine économique comme partout ailleurs. La liberté est éthique et pratique ; elle stimule la créativité, l’invention et la prospérité».
Le propriétaire indique avoir proposé à David Shipley de «mener ce nouveau chapitre». «Je lui ai dit que si sa réponse n’était pas «Oui, carrément!», alors cela devait être non. Après moult réflexions, David a décidé de se retirer», relate-t-il. «C’est un virage important, ce ne sera pas facile et va nécessiter un engagement à 100%. Je respecte sa décision. Nous allons chercher un nouveau rédacteur en chef», ajoute-t-il .
Dans une note adressée aux journalistes de la rubrique, retranscrite par le New York Times, David Shipley assure avoir pris sa décision «après avoir réfléchi à la meilleure façon d’aller de l’avant dans cette profession que j’aime». Il se dit également «reconnaissant d’avoir pu travailler aux côtés d’une équipe de journalistes d’opinion engagés pour des commentaires forts, innovants et éclairants».
Cette annonce semble rapprocher encore un peu plus le prestigieux journal du camp conservateur. Lors des dernières présidentielles, le titre a défrayé la chronique en adoptant une «ligne neutre» . Sa rubrique Opinions n’a pas soutenu la candidate démocrate Kamala Harris face au républicain Donald Trump, alors qu’elle avait soutenu les candidats démocrates lors des quatre précédents scrutins. Selon le syndicat des journalistes, c’est Jeff Bezos lui-même qui serait intervenu pour empêcher la parution d’un article de soutien en faveur de Kamala Harris. Cette allégation a été démentie par la direction. Mais cette situation a entraîné une vague de résiliations : le Washington Post avait alors perdu 200.000 abonnés en l’espace de 72 heures.
Tout porte à croire que le repositionnement des pages «Opinion» autour des principes de liberté individuelles et de libre marché vise à davantage rapprocher le «WaPo» avec les politiques de Donald Trump, Elon Musk, ou encore JD Vance. Comme d’autres patrons de la tech, Jeff Bezos occupait le premier rang de la cérémonie d’investiture du président. «Je suis confiant sur le fait que les libertés économiques et individuelles sont justes pour les États-Unis. Je crois aussi que ces points de vue sont sous-traités par l’offre actuelle des idées et de l’information. Je suis excité à l’idée que nous puissions combler ce vide», argue l’homme d’affaires dans sa note à la rédaction du journal.
Dans un mail interne, le directeur général du journal Will Levis a assuré que cette décision éditoriale ne vise pas «à ranger le journal du côté d’un parti politique». «Il s’agit d’être très clair sur ce que nous défendons en tant que journal. C’est un élément essentiel pour servir de source d’information de référence pour tous les Américains», justifie-t-il. Le dirigeant indique qu’un rédacteur en chef intérimaire sera nommé le temps qu’un remplaçant à David Shipley soit recruté.
lefigaro