Dette : Fitch dégrade la note de la France et fait basculer le pays dans le club des «simples A»
L’agence de notation prend acte de la paralysie politique, qui rend inenvisageable tout plan ambitieux de réduction du déficit public. Et s’aligne sur les marchés.
Le couperet est tombé. La dette souveraine de la France a été dégradée par Fitch Ratings ce vendredi soir, après la fermeture des marchés, passant de « AA- » (qualité élevée) à « A+ » (qualité moyenne supérieure). Le symbole est puissant : en faisant changer le pays de catégorie, l’agence de notation américaine prend acte de l’incapacité des quatre gouvernements qui se sont succédé en un an à réduire efficacement le déficit public. Après le pic de 5,8 % du PIB atteint en 2024, le solde budgétaire devrait, en théorie, atteindre -5,4 % cette année. Et alors que François Bayrou visait, avant sa chute, sur un retour à -4,6 % en 2026 au travers d’un effort de 44 milliards d’euros, la plupart des prévisionnistes estiment désormais probable qu’un budget à l’ambition réduite de moitié soit adopté avant la fin de l’année, ne permettant de revenir, au mieux, qu’à -5 %.
«La chute du gouvernement lors d’un vote de confiance illustre la fragmentation et la polarisation croissante de la politique intérieure», a indiqué Fitch dans un communiqué. «Cette instabilité affaiblit la capacité du système politique à mettre en œuvre une consolidation budgétaire d’ampleur», a ajouté l’agence américaine, estimant improbable de ramener le déficit public sous 3% du PIB en 2029 comme l’ambitionnait le gouvernement sortant.
Passer la publicitéLe ministre sortant de l’Économie, Éric Lombard, a dit prendre «acte» de la décision de l’agence. «Une décision motivée par la situation de nos finances publiques et l’incertitude politique, malgré la solidité de l’économie française», souligne-t-il sur X. Se voulant rassurant, il ajoute : «Le nouveau Premier ministre a d’ores et déjà engagé la consultation des forces politiques représentées au Parlement, en vue d’adopter un budget pour la Nation et de poursuivre les efforts de rétablissement de nos finances publiques.»
Cette dégradation s’accompagne de conséquences directes. Certains fonds, notamment étrangers (notre dette est détenue à 54 % par des investisseurs «non-résidents »), s’interdisent de détenir en trop grande quantité de la dette classée « A ». Ce qui devrait provoquer des ventes forcées exerçant une pression à la hausse sur les taux d’intérêt. Pour autant, la réaction des marchés pourrait rester modérée, ceux-ci disposant de tous les outils pour apprécier en direct le niveau de risque de chaque dette souveraine. Le mauvais état des finances publiques françaises est une information « largement digérée par les marchés », explique Maxime Darmet, d’Allianz Trade. Si les agences tardent à se positionner, c’est parce qu’elles « ne veulent plus être qualifiées de pyromanes », ajoute-t-il.
Fitch met surtout fin à une incongruité. L’écart de notation entre la France et certains pays européens moins bien notés comme l’Espagne (A-), le Portugal (A-) ou l’Italie (BBB+) devenait « difficile à justifier » au regard des taux plus faibles auxquels ces derniers se financent désormais, estime l’économiste Lucile Bembaron dans sa dernière note pour Asterès. Les marchés se montrent en effet plus attentifs à la trajectoire budgétaire qu’au niveau d’endettement. Ainsi l’Italie, dont le ratio d’endettement est supérieur à celui de la France, à 138 % contre 114 %, emprunte-t-elle à des taux équivalents à ceux de la France sur les obligations à dix ans, et même inférieurs sur les obligations de plus court terme. Les investisseurs saluent de cette manière la réduction du déficit public italien, passé de 7,2 % en 2023 à 3,4 % en 2024.
Par sa décision, Fitch refuse le bénéfice du doute au nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, qui a entamé des discussions avec les différents groupes politiques ainsi qu’avec les partenaires sociaux pour identifier une « voie de passage » devant permettre l’adoption d’un budget dans les temps impartis, c’est-à-dire avant la fin de l’année. Le choix de l’agence américaine traduit un changement de posture face au climat politique national : en mars dernier, elle avait laissé sa note inchangée à la suite de l’adoption du budget 2025, bien que celle-ci se soit faite au rabais et hors délai. Cette fois-ci, Fitch se montre moins patiente, et il est fort probable que les autres agences, qui doivent prochainement se prononcer - notamment Moody’s le 24 octobre et Standard & Poor’s le 28 novembre - en fassent de même.
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Force est de reconnaître que les marges de manœuvre limitées de l’exécutif ne laissent pas augurer un prompt reflux de la dette, qui a atteint 3 345 milliards d’euros au premier trimestre. « Or le déficit qui permet de stabiliser la dette se situe autour de 2,8 % selon nos calculs », explique Hadrien Camatte, économiste chez Natixis. La charge de la dette, c’est-à-dire la part de la dépense publique consacrée au remboursement des intérêts, est toujours plus lourde. De 58,8 milliards d’euros en 2024, elle pourrait atteindre plus de 107 milliards en 2029, selon la Cour des comptes.
Passer la publicitéCette sombre perspective, tout comme l’assurance de voir la prime de risque exigée par les investisseurs augmenter toujours plus, convaincra-t-elle les partis politiques d’aboutir à un compromis sur le budget 2026 ? Rien n’est moins sûr, tant l’envie de certains de provoquer une dissolution est forte, quand bien même un tel scénario plomberait la croissance, creuserait un peu plus le déficit et alourdirait le poids de la dette.
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