Santé. « C'est du racket » : vers la fin des parkings d'hôpitaux trop chers ? Un débat à l'Assemblée ce jeudi

Depuis une quinzaine d’années, l’essentiel des établissements de santé ont délégué la gestion de leurs parkings à des acteurs privés. Les tarifs pratiqués suscitent l’indignation jusqu’à l’Assemblée nationale, où trois groupes parlementaires ont chacun déposé une proposition de loi.
Patients et visiteurs doivent s’y résoudre malgré eux : se garer à l’hôpital implique de sortir le portefeuille, pour une facture parfois salée. « C’est une violence incroyable pour nos patients. Ils sont déjà victimes de la maladie et avec ça on en rajoute. C’est du racket », tonne Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers. Au tournant des années 2010, de nombreux hôpitaux ont délégué la gestion de leur parking à des acteurs privés. Si bien qu’aujourd’hui, 75 % des parkings sont gérés par des groupes tels que QPark, Effia ou Indigo, et que la gratuité a quasiment disparu.
« Ce n’est pas de la privatisation, c’est de la délégation de service public à la suite d'un appel d’offres », soutient Jean-Laurent Dirx, président de la Fédération nationale des métiers du stationnement (FNMS), qui défend les intérêts des acteurs privés. « Les hôpitaux ont décidé - au vu de leur capacité financière - qu’ils devaient mettre des moyens sur l’offre de soins plutôt que dans la construction ou l’entretien d’un parking », ajoute-t-il, avant de préciser que les conditions tarifaires sont fixées dans le contrat. Selon le représentant du secteur, « une grosse majorité du chiffre d’affaires revient à l’hôpital » mais la part du délégataire peut être rehaussée en fonction des investissements effectués initialement. « Construire un parking représente plusieurs millions d’euros d’investissements et une grande partie des recettes est dédiée à son amortissement », argue par exemple Indigo.
« Le gratuit, c'est le chaos »L’argument régulièrement invoqué pour le passage du gratuit au payant est le problème posé par les « voitures ventouses », comprenez les véhicules utilisant les parkings sans fréquenter l’hôpital. « Je me souviens de discussions avec des directeurs d’hôpitaux qui nous disaient être envahis par des véhicules extérieurs », affirme Jean-Laurent Dirx, pour qui « le gratuit, c’est le chaos ».
Outre les patients et les visiteurs, les professionnels de santé sont également concernés par ces tarifs. « Il y a toujours un petit stock de places réservées au personnel, mais cela n’a rien à voir avec les effectifs. Il peut y avoir 100 places pour 1 800 agents », expose Thierry Amouroux, du syndicat des infirmiers. « Mais le problème concerne essentiellement les patients. Les professionnels de santé ont choisi de venir travailler ici, c’est le lot de tout travailleur. Le patient, lui, n’a pas le choix », différencie-t-il. Invitée à réagir, la Fédération hospitalière de France, qui regroupe les hôpitaux publics, n’a pas souhaité communiquer.
Face à la généralisation du payant et des délégations au privé, une grogne monte au sein de la population. Des mobilisations ont été organisées ces derniers mois pour demander la gratuité de ces espaces de stationnement, comme à Nancy (Meurthe-et-Moselle), à Jossigny (Seine-et-Marne) ou encore à Brest (Finistère), où une pétition a récolté plus de 20 000 signatures.
L’indignation a d’ailleurs gagné les bancs de l’Assemblée nationale, où trois propositions de lois ont été déposées durant l’été. La première est l’œuvre de La France insoumise (LFI) et prévoit une gratuité totale, l’interdiction des contrats de concession et la résiliation des contrats en cours dans un délai de trois ans moyennant une « indemnisation par l’État des frais de passage à la gratuité ». Le texte propose que la charge pour les finances publiques soit compensée par une majoration de la fiscalité sur le tabac. « J’ai reçu des témoignages dans ma circonscription de malades qui disent à leurs proches de ne pas venir leur rendre visite », se désole Pierre-Yves Cadalen, député LFI du Finistère à l’origine de la proposition. « Le fait de rendre payant ces parkings contribue à détruire la matérialisation concrète de la République sociale. Cela peut sembler être un détail, mais je pense que c’est fondamental. »
Un texte a également été déposé par le Rassemblement National (RN). « Les patients ou les visiteurs qui, par leurs impôts directs ou indirects, financent l’hôpital public doivent contribuer une seconde fois » à travers le paiement des parkings, expose la proposition de loi. Celle-ci impose que tout établissement public dispose d’un parc de stationnement gratuit et interdit toute nouvelle délégation de service public en la matière. Pour ce qui est des concessions existantes, qui s’étalent parfois sur 20 ou 30 ans, « il faudra voir pour y mettre fin dans un délai raisonnable », assure Thierry Frappé, député RN du Pas-de-Calais et coauteur du texte aux côtés de Marine Le Pen. Hasard du calendrier, c’est ce texte qui sera discuté en premier ce jeudi dans le cadre de la niche parlementaire du parti d'extrême droite.
« Un problème de dignité pour les malades et les visiteurs »Le député PS de Meurthe-et-Moselle Stéphane Hablot s’est également emparé de cette problématique et a même effectué un tour de France des hôpitaux pour alimenter sa réflexion. « J’ai voulu rencontrer des usagers, des directeurs d’hôpitaux, écouter au maximum. On se rend compte que c’est un problème d’intérêt général sur lequel il y a besoin de légiférer », explique-t-il. Le texte de l’élu socialiste prévoit quant à lui une gratuité totale pour les patients et le personnel hospitalier, deux heures gratuites par jour pour les visiteurs, et un plafond de 15 euros par jour et de 100 euros par mois. « Le texte se veut ouvert et pragmatique. Il y a un problème de dignité pour les malades et les visiteurs. Mais on s’est aussi rendu compte que le budget de l’État ne permet pas de tout régler », détaille Stéphane Hablot. Sa proposition promet de réconcilier ces impératifs : « On n’empêche pas le privé de ramener de l’argent à l’hôpital, mais on ne le laisse pas faire n’importe quoi. »
Le prix des parkings d'hôpitaux « creuse les inégalités »
Pour Féreuze Aziza, conseillère nationale de France Assos Santé, le prix des parkings des établissements de santé contribue à un inégal accès aux soins.
Le prix des parkings d’hôpitaux est-il un sujet qui vous remonte de la part des patients ?
« C’est un sujet que l’on connaît depuis longtemps. On communique souvent sur les restes à charge en santé, en disant qu’en France on a le plus petit reste à charge par rapport aux autres pays de l’OCDE en matière de santé. Mais on a fait une enquête sur les restes à charge invisibles, c’est-à-dire tous les à-côtés, les frais liés à la santé qui passent en dessous des radars et qui ne sont pas remboursés et le prix des parkings en fait partie. J’ai longtemps travaillé à l’association Vaincre la mucoviscidose où des personnes se faisaient greffer. On avait donc des situations avec des personnes hospitalisées pendant un mois, deux mois ou davantage. Souvent, ces hospitalisations ne se font pas à côté du domicile car il n’y a pas des centres de greffe partout. Pour un conjoint, ou des parents qui viennent voir leurs enfants cela peut vite peser sur le budget des personnes. »
Vous pensez qu’il s’agit d’un problème d’inégalité quant à l’accès aux soins ?
« Exactement. Cela touche les personnes qui ont des soins réguliers, ceux qui sont dans une situation de vulnérabilité. Dès qu’on introduit un aspect financier, cela creuse les inégalités. Certaines personnes hospitalisées longtemps auront peut-être moins de visites de la part de leurs proches, forcément moralement ça n’aide pas. Ce sont toujours ceux qui en ont le plus besoin qui sont pris pour cible et qui doivent payer. »
« À partir du moment où cela touche à la santé, cela devrait être gratuit »Les professionnels des métiers du stationnement font valoir qu’il existe des possibilités de remboursement qui sont souvent mal connues, qu’en pensez-vous ?
« Effectivement, il y a certaines situations où les frais de parking peuvent être pris en compte. Mais ce n’est pas tout le temps le cas. D’abord, pour les visiteurs, il n’y a jamais de remboursement, ça n’existe pas. Ensuite, pour les patients, il faut que cela rentre dans un cadre strict. Dans de nombreuses situations, si vous allez vous-même à votre consultation et que votre situation de santé ne justifie pas que vous puissiez avoir ou un taxi conventionné ou un véhicule sanitaire léger (VSL) ou qu’un proche vous accompagne obligatoirement, dans ce cas-là, ce n’est pas du tout remboursé. »
Avez-vous pris connaissance des propositions de lois qui ont été déposées ?
« J’ai vu la proposition du PS puisqu’on avait échangé en amont lorsqu’elle était en construction. C’est une proposition qui va dans le bon sens. Nous sommes pour tout ce qui va dans le sens de la diminution des restes à charge et vers une moindre inégalité d’accès aux soins. Quand on fait rentrer le privé, c’est qu’on cherche à faire fructifier le marché de la santé. Or, notre point de vue est clair : à partir du moment où cela touche à la santé, cela devrait être gratuit. »
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