L’Eurovision, tribune féministe
%3Aquality(70)%3Afocal(2604x959%3A2614x969)%2Fcloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com%2Fliberation%2FTN3YIWJ3P5BJBAXKDIQHSRTZQM.jpg&w=1920&q=100)
Dès sa naissance, le concours Eurovision a fait la part belle aux interprètes féminines, tant dans les participations qu’à l’heure des palmarès. Mais cette prédominance est un trompe-l’œil : leurs chansons étaient, sauf exception (la Hollandaise Lenny Kuhr), écrites par des hommes et pleines de stéréotypes sexistes.
La pionnière indiscutable de l’euroféminisme musical fut l’Italienne Mia Martini en 1977 avec Libera, et son fameux vers «libre d’expérimenter, libre d’être mère», une prise de position sans ambiguïté au moment où son pays débattait de la libéralisation de l’IVG (qui sera adoptée l’année suivante). Cette superbe ballade disco-soul sera même enregistrée en français.
Depuis quelques années, en même temps que les thématiques et les esthétiques LGBT + s’imposaient dans la compétition, le point de vue des femmes s’est affirmé. Cette année, lors de la finale de ce samedi 17 mai, au moins trois chansons sont représentatives des revendications des «femmes puissantes».
Dans le texte défendu par Laura Thorn, 25 ans, professeure de solfège au conservatoire d’Esch-sur-Alzette, la poupée prend son autonomie, «s’empouvoire» et proclame : «Si tu comptais m’exposer dans ta vitrine […] désolée pour toi, mais moi seule détermine /Où mon cœur va, oui, je tire les ficelles.» La chanteuse débutante explique dans une interview : «La poupée de France Gall [gagnante du concours avec Poupée de cire, poupée de son en 1965, ndlr] n’a plus besoin d’être dirigée par quelqu’un d’autre : elle prend le contrôle, elle s’affirme, […] et assume sa puissance.» Bref, elle n’a «besoin de personne», comme une autre héroïne motorisée du même Gainsbourg.
La diva a donc dû se rhabiller. «L’Union européenne de radio-télévision (UER) considère que l’ensemble est trop sexuel. En plus, ils veulent aussi que je couvre mes fesses», a témoigné la candidate finlandaise dans les colonnes du journal suédois Expressen. Erika Vikman n’en revendique pas moins la liberté sexuelle et vestimentaire, et ne cache pas son admiration pour Ilona Staller, chanteuse, actrice et députée du Parlement italien, plus connue sous son nom d’artiste : la Cicciolina. La blonde candidate, très bien placée dans les pronostics, a d’ailleurs entamé sa carrière dans le genre musical érotique par excellence : le tango, que les Finlandais se sont approprié et dont ils se délectent depuis un siècle.
Utilisé par certains hommes anglophones comme synonyme de «salope», le mot cunt a été détourné de son sens sexiste et injurieux pour devenir une forme d’éloge de la puissance féminine. Un peu comme «pédale» pour les gays. La journaliste de France Inter Manon Mariani décryptait l’expression dans un podcast en 2023, soulignant qu’elle a été employée de façon positive et militante par Beyoncé ou RuPaul. La BBC de Londres ne l’a pas entendu de cette oreille et a écrit à l’UER, en demandant que le terme supposé inconvenant soit banni du concours.
Contrainte et forcée, la PBS, la télé maltaise, a changé le titre de la chanson, devenue Serving, tout en déplorant une décision «injuste, disproportionnée et discriminatoire envers la langue et le peuple maltais». Quant à l’expression «serving kant», elle a été tout bonnement supprimée. Le 15 mai, lors de la seconde demi-finale, Miriana Conte s’est brillamment qualifiée, dans une robe de fée qui tombe pour révéler une tenue rouge et moulante. Et elle défendra ses chances ce samedi avec ses formes généreuses et hors normes, et sa joie de vivre contagieuse.
Libération