INFOGRAPHIES. De l'effondrement des ventes de voitures à la fermeture des usines, mécanique d'un secteur automobile en crise

C'est un marché en panne. L'industrie française automobile, frappée par une série de plans sociaux et de fermetures d'usines, se retrouve "en grand danger", alertait le lobbyiste Luc Chatel, porte-parole des constructeurs français, sur RMC, en janvier dernier. Un discours repris par le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, qui a également parlé d'une filière "en danger de mort", début mars, à l'occasion de l'annonce d'un plan d'action pour soutenir la filière.
Pour comprendre les dessous de la crise sociale qui frappe ce secteur clé de l'industrie française, franceinfo a passé en revue les indicateurs du marché de l'automobile en France. Chiffres de ventes, prix des voitures, défaillances d'entreprises, résultats financiers... Cette radiographie révèle les paradoxes d'un secteur qui vend moins de voitures tout en enregistrant des bénéfices records.
Les analystes expliquent cette flambée des prix par l'arrivée sur le marché des véhicules électriques et hybrides ainsi que par un effet d'aubaine dont les fabriquants ont su profiter après la pénurie due à la crise du Covid-19. Avec moins d'offre que de demande, les grandes marques se sont retrouvées en position de force face à leur clientèle. Les constructeurs avaient alors ce que Carlos Tavares, l'ex-directeur général du groupe Stellantis, avait appelé le "pricing power" (le pouvoir sur les prix). Ils ont aussi privilégié les plus gros véhicules, plus chers et plus rentables que les petites voitures. Une politique qui a permis aux constructeurs de réaliser des résultats financiers records entre 2021 et 2023 et de rester encore très profitables en 2024.
Mais en retour, l'achat d'une voiture neuve est à la portée de moins en moins de bourses. Ce phénomène est particulièrement visible avec les grandes marques françaises. Alors que les ventes de Dacia, la marque à bas coût du groupe Renault, ont continué de progresser ces dernières années, celles de Renault, Citroën et Peugeot ont fortement baissé. "La pratique des prix élevés ça marche tant que vos modèles sont nouveaux. Mais quand vos voitures sont moins modernes (...) alors cette stratégie ne fonctionne plus", juge Eric Champernaud, directeur général du cabinet de conseil C-Ways, à propos du cas de Citroën, dont les ventes en France ont été divisées par trois entre 2011 et 2024.
Mais à l'autre bout de la chaîne de production, cette stratégie a également de lourdes conséquences dans les usines. Dans un marché qui vend moins, les constructeurs n'ont plus besoin de produire autant de voitures qu'avant. "La réduction du marché entraîne toute une réadaptation des capacités de production", observe ainsi sur le terrain Alexia Visca, responsable du secteur automobile chez Secafi, un cabinet de conseil auprès des instances représentatives des entreprises. Résultat, la filière est frappée depuis 2023 par une vague de plans sociaux et de procédures de défaillance engagées devant les tribunaux de commerce.
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La plupart des plans sociaux et des défaillances engagées depuis 2023 concernent des sous-traitants de l'industrie automobile. "Un constructeur est libre de sa politique commerciale. Il peut baisser le prix ou l'augmenter. Un équipementier, il négocie un contrat sur plusieurs années à prix fixe. Il a donc beaucoup plus de difficultés à encaisser les chocs", explique Jean-Louis Pech, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (Fiev). Ce représentant des sous-traitants pointe notamment les conséquences du passage vers l'électrique. "On vit une transformation profonde du secteur lié à l'électrification. Or celle-ci conduit à l'arrêt de certains métiers", précise-t-il.
Dans une note publiée en octobre, la Direction générale des entreprises (DGE) estimait à au moins 40 000 le nombre d'emplois menacés à terme par le passage à l'électrique. "Il s'agit d'une estimation faite dans l'hypothèse où la filière passerait du jour au lendemain au tout électrique à volume de production constant", précise la DGE. "Nous soulignons aussi qu'il y aura des dynamiques de création d'emploi liées au développement de nouvelles activités autour des véhicules électriques", ajoute le service du ministère de l'Economie. Depuis 2020, la règlementation européenne oblige les constructeurs à vendre progressivement des voitures de moins en moins polluantes, avec en ligne de mire la fin des véhicules thermiques en 2035. Mais aujourd'hui, la part des voitures 100% électriques reste encore très minoritaire dans les nouvelles immatriculations. En 2024, elles ne pesaient que près de 17% des ventes.
En réalité, en plus des chutes des ventes, la filière française de l'automobile est actuellement surtout touchée par la disparition progressive des moteurs diesel. Un phénomène qui remonte à la précédente décennie et qui s'était accélérée après 2015, avec les révélations sur le "dieselgate", le scandale des fraudes aux tests de pollution des voitures. Or la disparition des moteurs diesel entraîne l'arrêt de la fabrication de toute une série de pièces qui ne sont pas nécessaires pour les moteurs essence.
Parmi les équipementiers les plus touchés figurent notamment les fonderies qui produisaient des pièces pour les diesel. Un vide qui n'est pas comblé par le développement des moteurs hybrides. "Ces voitures sont également dotées de mécaniques lourdes qui demandent plus de travail. Malheureusement, Stellantis ne les propose que sur les véhicules chers vendus en quantité limitée et Renault fabrique l’essentiel de ses véhicules de ce type en Turquie et en Espagne", explique Bernard Jullien, économiste à l'université Bordeaux Montaigne, spécialiste du marché automobile.
Les délocalisations sont l'autre grande explication des fermetures d'usines depuis 2023. Un phénomène ancien qui s'est encore accéléré ces dernières années. D'après des chiffres issus des bilans annuels du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA), la part des voitures Renault et Stellantis (hors gammes Fiat-Chrysler) produites en France a de nouveau baissé ces dernières années, passant de 22% en 2019 à 18% en 2023.
Face à ce phénomène, les syndicats accusent les grands groupes d'utiliser l'électrification comme prétexte pour poursuivre la délocalisation de leurs activités. "Nous sommes aussi victimes de donneurs d'ordre comme Renault et Stellantis, qui profitent de l'électrification des véhicules pour arrêter de recourir à la sous-traitance en France", dénonce ainsi Denis Bréant, responsable du secteur automobile à la CGT Métallurgie.
Ce représentant syndical plaide pour la construction dans l'Hexagone de voitures électriques plus petites et donc plus abordables pour les consommateurs sur le modèle de la R5 et de la R4 de Renault qui sont fabriquées dans le nord de la France. Mais cet espoir a été en partie refroidi l'été dernier avec l'annonce du retour de la Twingo. Cette nouvelle version électrique de la célèbre citadine a été entièrement conçue en Chine et elle sera fabriquée en Slovénie.
Méthodologie
Cet article a été réalisé à partir de données fournies par AAA Data, un cabinet d'étude spécialisé dans l'analyse et le traitement des données d'immatriculation en France. L'évolution des ventes correspond aux nouvelles immatriculations de voitures neuves pour les particuliers (VP) en France. Les prix moyens des voitures ont été calculés par AAA Data, à partir des volumes de ventes, en fonction des prix catalogues hors options, hors négociations et hors bonus/malus.
Les résultats financiers des constructeurs sont issus d'un rapport d'analyse produit par le cabinet de conseil EY, à partir des bilans annuels des principales marques mondiales: BMW, Mercedes-Benz, Volkswagen, Honda, Mazda, Mitsubishi, Nissan, Suzuki, Toyota, Ford, General Motors, Tesla, Stellantis, Renault, Hyundai et Kia.
Pour recenser les plans sociaux et les procédures collectives dans l'industrie automobile française, nous nous sommes appuyés sur des remontées syndicales, un travail de veille à partir des médias locaux ainsi que sur les annonces publiées au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc).
Rédaction : Mathieu Lehot-Couette
Conception et design : Léa Girardot
Développement : Valentin Pigeau
Relecture : Boris Jullien
Supervision éditoriale : Simon Gourmellet, Julie Rasplus
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