Notre critique d’À Bicyclette ! : l’amitié en roue libre
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CRITIQUE - Tourné sans script ni scénario préétabli, le film de Mathias Mlekuz le met en scène avec son ami, partant sur les traces de son fils disparu. Un coup de cœur.
Ils ont de bonnes têtes de cyclistes, ces deux-là ! L’un est plutôt enveloppé, l’autre a tout du gringalet. Ils fument, ils boivent et font volontiers ripaille dès que l’occasion se présente. L’un porte une casquette jaune élimée, l’autre un Panama défraîchi. Et voilà que ce tandem de copains se lance un défi fou et tellement touchant : refaire le voyage à bicyclette, de La Rochelle à Istanbul, sur les traces d’un fils, clown de son état, qui s’est suicidé à l’âge de 28 ans quatre ans plus tôt.
Le réalisateur le dit très bien : « Mon fils avait 22 ans quand il a fait ce voyage. Nous, on a 60 ans, on picole, on mange. Aller en Turquie à vélo, c’était un acte désespéré pour retrouver mon fils. J’avais l’espoir que plus j’irai le chercher, plus je le trouverai. » Dès qu’on aperçoit la silhouette des compères montés sur leurs engins, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de se remémorer les paroles de la chanson de Montand : « Quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins, à bicyclette, nous étions quelques bons copains… »
Bouleversant road-movie à deux roues, À bicyclette ! raconte de manière authentique et sincère l’épopée intime et fraternelle de deux amis sur les sentiers du deuil et de la résilience. Glanant depuis près d’un an le prix du public dans de nombreux festivals (d’Angoulême à Valenciennes en passant par Albi), le deuxième film de Mathias Mlekuz rallie tous les suffrages.
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Tourné au petit bonheur la chance, sans script ni scénario préétabli, ce film coup de cœur se construit au fil du trajet. C’est d’ailleurs de là que provient sa grande originalité. À bicyclette ! repose avant tout sur une narration en mouvement, continûment connectée à l’improvisation, à la cocasserie des dialogues sans filtre. Un grand coup de chapeau au montage qui a su ordonner avec subtilité les plus de 180 heures de rushs glanées durant le tournage.
À chaque étape de ce road-trip en liberté, qui circule de l’Atlantique à la mer Noire, on assiste à des séquences tantôt burlesques, tantôt hilarantes ou bien émouvantes. Sur chaque nouveau lieu, Mathias, Philippe et leur chien recueillent de précieux souvenirs de Youri. Ils y vont à leur rythme, revisitent les endroits où est passé le jeune clown. Le regard du père se superpose à celui de son fils. L’émotion est souvent à fleur d’image. Nos deux héros se chamaillent parfois, mais se réconcilient aussitôt après. Ce tendre et puissant hymne à la camaraderie convoque autant La Grande Vadrouille que les odyssées « goscinniennes » d’Astérix et Obélix, le tout au cœur d’un cheminement intérieur vers l’acceptation du deuil.
On se souviendra notamment de l’inextinguible fou rire provoqué par la scène de la douche dans un Airbnb de Vienne, ou bien les divers spectacles à nez rouge joués par notre tandem clownesque devant un parterre d’enfants de passage - qui ne rient pas tous de bon cœur, il faut l’avouer !
La note du Figaro : 3/4
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